vendredi 6 septembre 2013

Vases communicants / Brigitte Celerier


1132e jour de voyage - Opération Vases communicants : je laisse pour la journée les clés de la maison Dreamlands à Brigitte Celerier qui m'accueille pour sa part, grande fierté pour moi, chez elle

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les terrasses de cafés


Moi, tu sais, finalement, je le réalise, je n'ai pas tant de souvenirs de terrasses de café, ou ils sont très anciens, ou incertains, ou peut-être inventés. disait-elle.
Moi, je suis de la race des comptoirs, des cafés bus debout, le matin avant de commencer la journée de travail... ou comme une pause, une compensation au déjeuner que les rendez-vous ont fait sauter... ou dans une banlieue inconnue, pour me détendre un peu et payer le renseignement demandé, quel est l'autobus à prendre pour aller à telle adresse... ou, de temps en temps, trop brièvement, ce qui interdit de s'asseoir – mais je n'ai pas envie de m'attarder, je ne sais pas faire, inventer une complicité quelconque, ne suis pas un homme - avec un chef de chantier ou les représentants des entreprises devant se coordonner, en redescendant d'un toit, après une visite d'appartement en cours de réfection...
et prenant un air très assuré, et passablement exaspérant
Oui je suis bien trop active pour les terrasses de café.
Un temps – un regard qui part dans vague de ce qui lui sert de réflexion et
Quoique, au fond, oui, le repos, parfois.


comme les derniers temps de Paris, avant de remonter chez moi, à une des tables du café, à côté de ma porte, en haut de la rue de la Roquette... mais c'était le matin, et il y avait moins de monde que là, quand les gens de Google sont passés, j'avais une table isolée, et je regardais la vie tranquille.. les femmes qui traversaient pour aller faire leur course au Carrefour, les voitures qui tournaient et filaient, descendaient vers la place, une classe, les enfants qui se tiennent par la main, deux adultes - lequel est le chien de berger ? -  les voix du garçon et de la patronne derrière moi, dans le café, le groupe de jeunes qui discutaient tranquillement chez le tunisien, devant la boutique ouverte à cette heure là, entre les toiles bleus remontées.... jusqu'à ce que je vois sortir de mon immeuble le bonhomme qui venait de monter en portant, contre deux ou trois pièces, mes paquets pour les déposer sur mon paillasson, ce bonhomme familier de tout le quartier, celui qui, tous les jours, vendait son journal à la porte de Carrefour... moi je n'avais pas la force en ce temps là. 


un silence, et le flot de mots repart, inexorable, avec des pauses imperceptibles, des hésitations
ah c'est vrai ! je me souviens peu à peu, il y avait aussi les heures passées devant une coupe Ras-le-bol – drôle que je me souvienne du nom -  à la terrasse du Publicis Saint Germain,  la regarder de temps en temps, en prendre une cuillère après avoir bien choisi, rêver sur un livre, regarder la queue devant le cinéma, les passants, le soleil sur le carrefour, les autobus, les voitures, les tables voisines où on chuchotait, mais il n'existe plus depuis longtemps et les coupes Ras-le-bol non plus... alors disons Bandol, et Poupoune, avec un café liégeois, vers la mi-septembre, quand la foule de l'été part, quand je quittais Paris en voyant les aoûtiens rentrer et repeupler maussadement le métro.
Une fin d'après-midi, deux ou trois couples, des silhouettes isolées devant un café, un verre, ou une glace comme moi, quelques conversations à voix mesurées, des adolescents qui descendent du car, passent devant nous, plaisantent en claironant, parlent des têtes encore inconnues, du prof, de leur nouvelle classe, une voiture qui roule lentement, avec un énorme poste de radio à plein volume, le silence revenu, les pouf-pouf des pointus qui rentrent... j'attends un peu, et puis je vais me lever, longer les caisses débarquées, les balances, les gens avec des cabas, regarder, ne rien acheter, je préfère les poissons de roche trouvés le matin chez le poissonnier


ou ce jour à Florence où je me serais, contrairement à mon habitude, assise à une terrasse bondée sans regarder la carte et je serais là, me penchant de temps en temps pour masser mes jambes, devant ma tasse de café vide – un stretto si fort qu'on ne sait plus s'il est bon - que j'aurais commandée alors que je voulais un granité qu'ils n'auraient pas... mais je m'en moquerais, j'écouterais toutes ces voix, les criardes, les discrètes, l'américain nasal, les grands rires, le chant rapide de l'italien, les mères, et les cicerones en toutes langues, et je me persuaderais que je suis à part, comme le penseraient d'eux-mêmes tous ceux qui seraient là, avec ou sans guide et appareil photos, et quand je serais reposée, je me lèverais, je quitterais la piazza della Signoria, je rentrerais lentement, parce que tant à voir, vers la pension de famille au premier étage, la minuscule chambre blanche, ma petite terrasse presque contre le Dôme... mais je ne sais plus très bien, c'est si vieux.
Ou...
un ton de voix en dessous Au fond c'est vrai, j'aimais bien les terrasses de café.
Elle se tait enfin, se prépare à écouter.

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Texte et images de Brigitte Celerier. Si vous voulez retrouver mon voyage du jour, il vous faut vous rendre maintenant chez elle.
Cet échange se passe dans le cadre du projet des Vases communicants : “Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre.”